Octobre Rose / Cancer du sein : Interview du Dr Kafui Améwoui, Gynécologue Obstétricienne
- Posted on 08/11/2022 18:41
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- By abelozih@sante-education.tg
Extrait de l'article: En 2020, on a recensé 2,3 millions de femmes atteintes de cancer du sein et 685 000 décès par cancer du sein dans le monde. Le cancer du sein résulte d'un dérèglement de certaines cellules qui se multiplient et forment le plus souvent une masse appel
« Pratiquer l’auto-examen des seins, c’est la première manière de dépister le cancer du sein. Éviter tous les abus, les aliments trop gras, sucrés, salés, et l’état sédentaire »
En 2020, on a recensé 2,3 millions de femmes atteintes de cancer du sein et 685 000 décès par cancer du sein dans le monde. Le cancer du sein résulte d'un dérèglement de certaines cellules qui se multiplient et forment le plus souvent une masse appelée tumeur. C’est un mal silencieux, il prend plusieurs mois voire plusieurs années avant de se manifester. Focus sur le mécanisme, les facteurs de risque, la prévention et la prise en charge de cette maladie dans cette interview accordée au Dr Kafui Dédé Benedicta Améwoui, Gynécologue Obstétricienne.
Santé-Education : Quelle est la situation de la prise en charge du cancer du sein au Togo ?
Dr Dédé Améwoui : Le cancer du sein au Togo se dépiste de plus en plus tôt. Contrairement aux années précédentes où les cas que nous rencontrions étaient vraiment avancés avec des ulcérations.
Avec la radiothérapie et la chimiothérapie, on arrive à améliorer la survie de nos patientes. Il y a également des avancées sur la sensibilisation. On rencontre de plus en plus de femmes et de jeunes filles qui viennent spontanément se faire dépister quand elles ont des soucis et même quand elles n’en ont pas au niveau du sein. Elles n’attendent pas le mois de la lutte contre le cancer du sein. Puisqu’en cancérologie on ne parle pas de guérison, mais de rémission, en ce moment, nous avons beaucoup de patientes en rémission. Si après le traitement et les contrôles, il n’y a pas de signe de récidive. Elles sont en surveillance.
Quelle est la réalité de la lutte contre le cancer du sein au Togo ?
Les cancers gynécologiques et mammaires prennent des proportions très inquiétantes au Togo surtout le cancer du sein qui touche presque chaque ménage, c’est alarmant. Le Togo ne dispose pas encore d’un registre du cancer proprement dit (un embryon de registre est au service d’anapathologie du CHU SO), ce qui met en doute toute réalité du nombre croissant du cancer en général et du cancer du sein en particulier. Selon les statistiques issues du registre hospitalier en matière de cancer au Togo, le cancer du sein occupe un taux de 27,1% (Politique et plan stratégique intégré de lutte contre les maladies non transmissibles 2012- 2015).
Quels sont les signes qui doivent alerter ?
Dès qu’on constate un changement inhabituel au niveau des seins, qu’il s’agisse d’une rougeur, d’une déformation, d’une rétraction au niveau du mamelon, ou d’une induration d’une partie de la peau. Un aspect de peau d’orange ou un écoulement au niveau du sein, il faut impérativement consulter un médecin. En ce qui concerne l’écoulement, il faut préciser qu’il s’agit d’un écoulement en dehors de la période d’allaitement.
Quels sont les différents types de cancer du sein ?
Il en existe plusieurs : le cancer du sein non infiltrant qui peut être aussi un carcinome canalaire in situ (CCIS), le plus courant, ou un carcinome lobulaire in situ (CLIS) ; le cancer du sein infiltrant ou le carcinome canalaire infiltrant (CCI) ; le cancer du sein inflammatoire (CSI), un type rare de cancer du sein infiltrant compte pour environ 1-3 %de tous les cancers du sein. Il y a aussi la maladie de Paget du mamelon, un autre type de cancer du sein moins courant ; elle ne représente que moins de 5% de tous les cancers du sein.
Quelle est la tranche d’âge la plus exposées au cancer du sein ?
La plupart des cas survient entre l’âge de 45 ans et 65 ans. Il s’agit là du cancer du sein sporadique parce qu’il y a la forme héréditaire et sporadique. Au Togo, le cas de cancer sporadique est élevé. Le cancer héréditaire représente 5 à 10% des cancers du sein.

La forme sporadique est liée à une imprégnation hormonale prolongée. Une jeune fille qui a une puberté précoce, avant 12 ans et une ménopause tardive après 55 ans, est une personne qui a eu une longue imprégnation hormonale, elle a été exposée pendant longtemps aux hormones. Et c’est l’action répétée des hormones sur les cellules au niveau du sein qui va finir par entrainer le cancer du sein. Quant à la forme génétique, à partir de 30 ans déjà, le risque est important.
Quels sont les dépenses afférentes ?
Nous ne pouvons pas donner de coût réel, parce qu’il y a plusieurs cancers du sein. Cela va dépendre des résultats de l’immunohistochimie et du stade de la maladie. En général, il faut prévoir environ, 300000 FCFA au minimum par séance de chimiothérapie. Il faut 6 séances de chimiothérapie soit 1800000 FCFA. Il y a la radiothérapie qui se fait quand la maladie n’est pas avancée. Il faut prévoir environ 1800000FCFA. Il faut compter au moins 500000 FCFA pour la chirurgie (mastectomie avec curage ganglionnaire). En ce qui concernent les cancers du sein métastatiques, c’est encore plus compliqué ça va dépendre des résultats de l’immunohistochimie. Aujourd’hui en plus de la chimio thérapie nous disposons de la thérapie ciblée, il y a aussi immunothérapie qui a fait son entrée. Ces thérapies coûtent vraiment cher. Il faut compter plusieurs millions pour des séances avec une thérapie ciblée ou une immunothérapie.

Le traitement du cancer du sein est coûteux, partout aussi bien en Europe, qu’en Afrique. L’une des choses qui fait que le traitement est cher. C’est le fait que nous ne fabriquons pas les médicaments. Ils sont importés.
Est-ce que dans ces conditions, les patientes arrivent à faire face à toutes ces dépenses ?
Malheureusement, c’est très difficile pour nos malades de faire face à ces dépenses. Demander à quelqu’un de préparer 300 000 FCFA pour une séance de chimiothérapie de cancer, hummm, ce n’est pas donné à tout le monde. Beaucoup de familles se cotisent mais c’est vraiment difficile.
Il y a-t-il d’autres difficultés qu’elles rencontrent en dehors des dépenses ?
Elles sont d’ordre familial. Les patientes cachent souvent leur diagnostic de peur d’être rejetées par leur famille. Beaucoup de personnes continuent de croire que le cancer est contagieux. Certains maris, font chambre à part avec leur épouse. Beaucoup de femmes acceptent peu le fait d’avoir cette maladie. Elles ont besoin de suivi psychologique. Face aux difficultés financières et familiales relevées par les patientes, l’idéal serait qu’elles puissent avoir des soins gratuits.
Quant aux problèmes familiaux, il faut continuer la sensibilisation, que tout le monde comprenne que le cancer n’est pas une fatalité, qu’il réalise qu’un cancer n’est pas contagieux, que les patientes ont besoin de l’encouragement et du soutien de leur entourage. Les femmes décèdent à cause de leur situation familiale, malheureusement.
Comment se fait le dépistage du cancer du sein?
Le dépistage se fait grâce à l’autopalpation des seins, l’examen clinique par le médecin ou la sagefemme, la mammographie, l’échographie mammaire.
L autopalpation doit se faire chaque mois juste après les règles, l’écho mammographie de routine chaque deux ans à partir de 50 ans (la moyenne d’âge la plus touchée au Togo est de 52 ans avec des extrêmes allant de 30 à 80 ans) ou dès 35 ans si il y a des facteurs de risques (antécédent familial de cancer du sein ).
Quels sont les besoins spécifiques pour une prise en charge adéquate ?
Pour une prise en charge adéquate, il nous faut un renforcement du matériel de diagnostic et de traitement du cancer du sein. Quand bien même nous avons le matériel, il est très souvent défectueux ou bien, il est excessivement cher pour nos patientes.
Qu’on puisse avoir accès à tous les médicaments qui interviennent dans le cancer du sein, qu’il s’agisse des médicaments utilisés pour la chimiothérapie, pour les thérapies ciblées, ou l’immunothérapie.
Quels conseils voulez-vous donner aux femmes ?
Pratiquer l’auto-examen du sein, c’est la première manière de dépister le cancer du sein. Les femmes et jeunes filles doivent être capables de le faire. Il faut rendre visite une fois par an à un médecin. Il peut arriver qu’en faisant elles-mêmes leur auto examen du sein, elles n’arrivent pas à détecter un changement. Il est bien de consulter des spécialistes pour un examen beaucoup plus poussé. Encore, cette recommandation-là est plus importante pour les personnes qui ont eu dans leur famille, une maman, une tante, une sœur, qui a souffert de ce mal.
Il faut vivre de manière sobre. Éviter tous les abus, les aliments trop gras, sucrés, salés, et l’état sédentaire. Il faut pratiquer le sport, éviter le stress qui est un facteur de risque de tous les cancers, l’abus d’alcool. Il faut allaiter votre enfant au moins une période de 6 mois et cessant de fumer. C’est pour cela que nous conseillons aux femmes dont l’âge avoisine 40 ans ou celles qui ont des antécédents familiaux ou des anomalies à se faire dépister un peu plus tôt. Pendant le cycle du traitement, il faut respecter les recommandations du médecin. Après le traitement, il ne faut surtout pas oublier les visites régulières au médecin pour des contrôles.
Propos recueillis par Abel OZIH