La dépression : causes, symptômes, prévention
- Posted on 12/06/2024 17:39
- Film
- By abelozih@sante-education.tg
Extrait de l'article: La dépression touche un nombre important de personnes en Afrique, avertit l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Plus de 28 millions de personnes souffrent de la dépression, « ce qui en fait le trouble de santé mentale le plus courant sur le
La dépression touche un nombre
important de personnes en Afrique, avertit l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS). Plus de 28 millions de personnes souffrent de la dépression, « ce qui
en fait le trouble de santé mentale le plus courant sur le continent ». Bien
que fréquente, la dépression est une maladie dont les origines sont encore mal
connues. Pourtant, ses conséquences sont lourdes et affectent toutes les
dimensions de la vie de sa victime. Dans ce dossier, Pr Kolou Simliwa Valentin
Charles Dassa, Stress Counselor/Psychiatrie, CHU Campus Lomé-Togo évoque les
signes, les complications, la prévention et expliques-en quoi elle constitue un
défi pour la médecine.
Au Togo, selon les études hospitalières, les troubles dépressifs
représentent 20 à 30% des consultations et 30 à 60% des hospitalisations sur le
territoire national. La dépression est une maladie
mal connue, ignorée ou même négligée par la population. Pourtant, ses
conséquences sont lourdes et affectent toutes les dimensions de la vie de sa
victime
Qu’est-ce que la dépression ?
La dépression est « un état pathologique qui survient brutalement ou progressivement, et plus rien n’est comme avant. Le sujet perd tout dynamisme, le goût des choses de la vie, le sommeil et l’appétit, le moral, la capacité à éprouver des émotions. Le noyau de la dépression est la douleur psychique, dont on sait désormais qu’elle est portée par les mêmes réseaux de neurones que la douleur physique », explique Pr Kolou S. Valentin Charles Dassa, Stress Counselor/Psychiatrie, CHU Campus Lomé-Togo.
C’est d’ailleurs ce qui permet de comprendre que les
manifestations douloureuses comme les maux de tête, de dos, douleurs
musculaires, soient aussi des symptômes de ce mal.
Où commence la pathologie ?
Effectivement, on vit tous des états
émotionnels négatifs. Ces états mettent en alerte, au sens où ils suscitent le
sursaut nécessaire au franchissement de cette étape : sursaut cognitif, on se
change les idées, on passe à autre chose ou affectif et émotionnel. D’après Pr Kolou S. Valentin Charles Dassa, « la pathologie commence lorsque la faculté de rebond semble impossible, et
qu’elle se traduit par la persistance du mal-être et par l’altération des
capacités fonctionnelles. Les signes d’alerte sont multiples. Il y a les effets
somatiques tels que les douleurs, la perte du caractère réparateur du sommeil,
la perte de l’appétit, l’amaigrissement, les idées suicidaires, la perte de la
libido ».
Est-ce une maladie plus fréquente aujourd’hui
?
« La fréquence de la dépression est similaire dans tous les pays du monde
: elle n’est pas l’apanage des pays dits développés où le mal est plus souvent
diagnostiqué et le traitement mis en œuvre. Au Togo, elle est la première
maladie psychique diagnostiquée dans les consultations dans les structures de
santé », révèle
Pr Kolou S. Valentin Charles Dassa.
Les femmes semblent plus souvent
affectées, pour quelles raisons?
Elles sont, en moyenne, deux fois plus concernées que les hommes. Le facteur hormonal peut jouer: œstrogènes et progestérone ont un impact sur l’état émotionnel. « Des facteurs sociologiques sont aussi susceptibles d’intervenir: bien des femmes affrontent deux professions, au travail et au domicile, et bénéficient, à situation égale, d’une moindre gratification professionnelle que les hommes. Mais d’autres questions se posent, telles l’existence d’un facteur de vulnérabilité génétique liée au sexe ou encore un diagnostic plus fréquent lié à la plus grande capacité de la femme à exprimer ses émotions », souligne le psychiatre.
On constate aussi les ravages de la
dépression chez les adolescents. Que faire?
Le diagnostic de dépression chez l’adolescent est particulièrement « difficile à effectuer du fait de la part des troubles du comportement dans les symptômes de l’épisode dépressif. De surcroît, l’adolescent est moins enclin à consulter et à se soigner que l’adulte: on ne tombe pas malade à cet âge de la vie », fait savoir le spécialiste.
« Et
l’impulsivité, le goût pour les conduites à risques fréquemment observés à
cette période peuvent évidemment mettre en jeu le pronostic vital: le suicide
est la première ou la deuxième cause de mortalité à l’adolescence. Il faut
savoir réagir, ne pas hésiter à consulter pour ne pas se réfugier derrière la
notion vague de crise de l’adolescence. Et éviter le pire »,
indique-t-il.
Les personnes âgées ne sont pas
épargnées...
Après 50 ans, le diagnostic de dépression est souvent méconnu: « parce que l’association vieillesse-tristesse est facilement admise, et parce que la sémiologie peut être trompeuse lorsque les symptômes cognitifs (troubles de l’attention, de la mémoire, voire de l’orientation dans le temps et l’espace) laissent croire à un début de démence irréversible. La fréquence du suicide augmente régulièrement avec l’avancée en âge: le suicide des personnes âgées n’est pas suffisamment pris en compte », remarque Pr Dassa.
Quelle est la part du facteur
génétique dans l’origine de la maladie?
Les dépressions sont des maladies complexes. « Il n’existe pas un gène de la
dépression mais différentes formes de gènes qui peuvent intervenir. Cela
confirme le rôle d’une vulnérabilité génétique ou au contraire une protection
naturelle et laisse entrevoir la possibilité d’aller plus loin en identifiant
des sous-types de dépression selon le profil génétique », note le
psychiatre. Mais gare à ne pas concevoir le génome comme un élément statique,
définitivement arrêté au moment de la conception.
Les facteurs environnementaux comptent
aussi?
L’environnement, notamment durant le
développement du cerveau de l’enfant, est capable d’activer ou de freiner
l’expression du patrimoine génétique. Et cela peut définitivement marquer
l’individu. « Les carences
affectives durant l’enfance, les séparations et autres traumatismes sont
significativement plus fréquents chez les déprimés adultes. Les événements de
vie négatifs ont un poids évident avant le premier épisode dépressif, alors
qu’ils s’avèrent facultatifs lors des épisodes suivants », énumère le
psychiatre.
Que sait-on de ses mécanismes biologiques
?
Des anomalies sont souvent observées chez les sujets
déprimés en particulier du côté des hormones du stress, des hormones
thyroïdiennes et des médiateurs de l’immunité. Selon Pr Kolou Dassa, « on observe une altération des
fonctions cognitives : attention, mémoire, jugement et raisonnement puis
l’existence d’anomalies fonctionnelles des réseaux de neurones. La dépression
est une maladie psychosomatique puisqu’elle associe une altération de diverses
fonctions psychiques et somatiques, mais que l’on ignore encore le mécanisme
déterminant ce dérèglement de l’humeur ».
Faut-il nécessairement recourir aux
antidépresseurs pour traiter la maladie ?
Il est recommandé de « réserver ces traitements aux dépressions sévères, les formes d’intensité mineure devant se contenter d’une réponse psychothérapique. Le recours à un médicament antidépresseur est incontournable. Le délai d’action de ces molécules est de l’ordre de quatre à six semaines », dit le spécialiste. L’efficacité se mesure par la diminution des symptômes dépressifs et le retour à une vie familiale, sociale et professionnelle.
Est-ce suffisant pour sortir de la dépression
?
« Toute prescription d’un antidépresseur suppose un accompagnement attentif du patient, ce qui est déjà une forme de psychothérapie de soutien. Des méthodes de psychothérapie peuvent être proposées en fonction des aspirations et de l’état du patient », recommande Pr Dassa. Les psychothérapies dites « cognitives-comportementales » ont apporté la preuve de leur efficacité en complément de l’action des médicaments. La psychothérapie d’inspiration psychanalytique peut aussi être utile pour mieux appréhender et corriger son fonctionnement émotionnel.
Que proposer à celles et ceux qui
résistent aux traitements ?
Dans les formes sévères de dépression ou résistantes à
ces thérapies, « il peut être
nécessaire de recourir à des techniques de stimulation du cerveau. Certaines
dépressions ne s’améliorent pas avec les traitements courants. La dépression
n’est plus une fatalité, et aujourd’hui, toute dépression peut trouver un
traitement efficace », propose Pr Dassa.
On constate que les personnes
dépressives ne reçoivent pas de traitement approprié. Comment l’expliquez-vous
?
Être correctement soigné signifie, en premier lieu, que l’on reçoit un traitement antidépresseur à bonne dose et à durée suffisante.
« Souvent des personnes à qui il a été prescrit un antidépresseur ont spontanément interrompu le traitement avant terme, soit parce qu’elles n’observaient aucun effet, soit parce qu’elles avaient le sentiment d’aller mieux. En constatant cette situation, on ne peut que s’interroger sur la qualité de la prescription », indique le psychiatre. « Cette dernière doit être précédée d’un diagnostic exact ne confondant pas émotion passagère ou déprime et dépression, d’un accord entre médecin et patient sur ce diagnostic et d’un plan de traitement compris et accepté par le patient et le médecin », précise-t-il.
Et comment y remédier?
Cela est de la responsabilité de chacun: Pour Charles Dassa, « il faut progresser jusqu’à comprendre que la dépression n’est pas une simple réaction psychologique mais une maladie dont il reste à découvrir bien des mécanismes physiopathologiques. Ce dérèglement de l’humeur perturbe ce qui est le plus profondément humain: les façons de choisir, de penser, d’aimer ».
Cela n’est pas facile à comprendre: on cherche trop souvent une explication
psychologique alors qu’il faut appréhender les dysfonctionnements neurobiologiques
de la dépression. Plusieurs mesures seraient les bienvenues comme soutenir la
recherche, informer les populations sur tous les aspects de cette pathologie et
ses traitements, et inciter tous les professionnels de santé à rechercher les
signes de dépression.
Peut-on dire aujourd’hui que l’on sait
guérir la dépression?
« On sait soigner la dépression. On dispose de médicaments efficaces
et bien tolérés, et on a appris à mieux connaître cette maladie. De son côté,
la population admet de plus en plus que cette pathologie exige une aide
médicale. Cependant, nombre de patients ne sortent de leur dépression
qu’imparfaitement guéris: soit parce que tout n’a pas été mis en œuvre pour
obtenir cette guérison, soit parce que les outils thérapeutiques ont atteint
leurs limites face à certains cas », affirme le Stress Counselor/Psychiatrie. Mais cela ne concerne qu’une infime
partie des dépressions.
Abel OZIH