Planification familiale au Togo : les leaders religieux, des alliés clés pour le développement et l'autonomisation des femmes
- Posted on 02/10/2024 18:13
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- By abelozih@sante-education.tg

Extrait de l'article: Reconnaissant l'importance cruciale des normes sociales et du rôle des leaders religieux à l’atteinte des objectifs du partenariat de Ouagadougou (PO) l'Unité de Coordination du PO (UCPO) a organisé du 01 au 03 Octobre 2024 un atelier régional de la
Reconnaissant l'importance des normes sociales et le rôle des leaders religieux dans la planification familiale, l'Unité de Coordination du Partenariat de Ouagadougou (UCPO) a organisé un atelier régional du 1ᵉʳ au 3 octobre 2024. Cette rencontre visait à mettre en lumière l’apport des religieux à l'atteinte des objectifs du PO. Elle a également permis de renforcer la collaboration entre la société civile, les jeunes et les partenaires.
Durant ces trois jours, les participants ont fait l’état des lieux de la contribution des religieux à l’atteinte des objectifs du PO. Ils ont aussi échangé sur les succès, défis et perspectives des acteurs, en particulier les religieux, dans l’atteinte des résultats de la nouvelle phase du PO. Les discussions ont permis d'identifier des activités porteuses à dérouler en faveur de la PF dans les pays en contexte de crise. Par ailleurs, la rencontre a évalué l'impact de l'extrémisme religieux sur les avancées du mouvement féministe, permettant de définir des stratégies pour contrer les discours discriminatoires. C’était enfin l'occasion de renouveler les bureaux régionaux de l'Alliance des religieux de l'Afrique de l'Ouest pour la promotion de la santé et le développement (ARAO/SD) et de renforcer les liens entre les différents acteurs impliqués dans la mise en œuvre du Partenariat de Ouagadougou.
Vue partielle des acteurs
L'expérience
depuis le lancement du PO en 2011 révèle que les attitudes et les comportements
liés à la planification familiale sont, en grande partie, influencés par les valeurs
religieuses et les pratiques culturelles. Les leaders religieux sont des
figures respectées, bien placées pour influencer les comportements et dépasser
les obstacles culturels. Leur rôle est d'autant plus important au Togo où une
majorité de la population écoute leurs conseils. Le Dr. Abram Amétépé Agossou,
Directeur de la Santé de la mère et de l’enfant au ministère de la Santé du
Togo, a d'ailleurs expliqué que « En matière de religion, nos valeurs et nos
normes sociales influencent parfois l’accès aux services de Planification
Familiale. Certaines personnes pensent qu’adopter une méthode contraceptive est
un péché. Alors, il faut que les religieux nous accompagnent à expliquer ce
qu’est la planification familiale et à trouver des paroles saintes qu’on peut
assimiler à cela. Ils nous aident à trouver des passages pour que le message
passe plus facilement. Nous reconnaissons l’importance des normes sociales et
du rôle des leaders religieux dans l’atteinte des objectifs du PO. » Leur
influence et leur crédibilité sont des atouts majeurs pour transformer les
perceptions.
Progrès, demande et urgence sanitaire
Le
Togo a réalisé des progrès significatifs en matière de planification familiale,
salués par FP2020 et l'OMS. Le pays a enregistré un Taux de Prévalence
Contraceptive (TPC) de 24 % en 2022, selon le ministère de la Santé. Ce chiffre
est supérieur à la moyenne de 19 % mentionnée dans le texte pour l'Afrique de
l'Ouest en 2024. Le taux était de 13,2 % en 2010, illustrant une augmentation
notable au fil des ans. Néanmoins, la demande en contraceptifs reste très forte
au Togo. On compte 34 % de la demande non satisfaite, ce qui indique un besoin
persistant d'améliorer l'accès aux méthodes. Le Togo enregistre par ailleurs
des taux élevés de mortalité maternelle et infantile. On déplore 399 décès
maternels pour 100 000 naissances vivantes en 2021 et une mortalité
infanto-juvénile de 146 enfants pour 1000 naissances vivantes. L'amélioration de
la planification familiale est un levier essentiel pour réduire ces indicateurs
tragiques.
Actions
des leaders religieux et adoption d'un langage inclusif
Pour
contrer la résistance de certaines communautés, les leaders religieux ont
adapté leur approche en s'appuyant sur des associations comme l'Alliance des
religieux de l'Afrique de l'Ouest (ARAO/SD). L'Imam Karim Sani Yaya, à Totsi, a
mis en lumière cette stratégie : « Depuis que le ministère de la Santé a
commencé ses campagnes de sensibilisation, beaucoup de fidèles étaient
réticents par rapport à l'adoption de ces méthodes contraceptives. Parce que
quand on parle de planification familiale, les gens voient directement la
limitation des naissances. Nous avons donc adopté l'expression ‘’procréation
responsable’’, pour dire qu'en réalité, il ne s'agit pas d'arrêter le problème,
mais d'espacer pour permettre à la maman de récupérer, et au premier enfant de
grandir avant de pouvoir donner un second. »
La
responsabilité des leaders religieux est de sensibiliser dans les lieux de
culte et les mosquées sur l'adoption des méthodes qui permettent de se
préserver. Le Révérend Pasteur Nassoime Jacques d’une église protestante au
nord du Togo souligne : « L’Église propose un planning familial pour la santé
spirituelle et la santé du corps. Pour sensibiliser les fidèles, nous profitons
des réunions de chaque département. Aux couples, nous conseillons des espacements
et la responsabilité afin qu’ils puissent bien prendre soin des enfants qu’ils
mettent au monde. Et aux jeunes, pour ne pas les conduire en erreur, nous leur
proposons la chasteté selon la Bible. »
Du
côté des traditions, Sa Majesté Togbui Essi Akpovi à Nikonakpoè, utilise une approche basée sur des valeurs
culturelles. « Dans la tradition, nous ne parlons pas de planification
familiale comme une science, mais comme une sagesse ancestrale. La terre ne
donne de bonnes récoltes que si elle est laissée au repos. De même, nous
enseignons que la santé de la femme est sacrée, car elle est le pilier de la
famille et du clan. Nous conseillons aux jeunes mères d'espacer les naissances
pour que chaque enfant soit une force pour notre communauté. »
L'impact
de la PF sur l'autonomisation et le développement
Les
droits en matière de santé sexuelle et reproductive sont essentiels pour l'autonomisation
des femmes. En leur permettant de contrôler leur propre corps et leur vie, la
PF contribue à réduire la mortalité maternelle, les grossesses non désirées et
les violences sexuelles. Ces droits ouvrent également aux jeunes fille la possibilité
de poursuivre leurs études, d'accéder à l'emploi et de participer pleinement à
la vie sociale et économique pour le développement du pays. L'accès à la
contraception et à des soins de qualité aide à prévenir les grossesses précoces
et les avortements à risque, problèmes majeurs au Togo. On estime ainsi dans le
monde qu’une fille sur cinq donne naissance à son premier enfant avant 18 ans.
De plus, les complications liées à la grossesse sont l'une des principales
causes de décès chez les adolescentes de 15 à 19 ans. L'un des avantages de la
planification familiale est qu'elle permet aux parents d'avoir une bonne
situation économique. Il est essentiel que les religieux accompagnent les
professionnels de la santé pour faire passer plus facilement ces messages, en
trouvant des passages bibliques ou coraniques qui corroborent l'importance de
cette pratique.
Défis persistants, menaces et inégalités de compréhension
Malgré
les efforts, des défis importants persistent, notamment au Togo. L'accès aux
soins reste inégal en raison du sous-financement du système de santé, du manque
de personnel et de médicaments, et de discriminations. Des facteurs tels que
les effets secondaires des méthodes contraceptives, les influences sociales, le
faible niveau de connaissance et le désir de maternité contribuent à l'abandon
des méthodes de longue durée, en particulier dans les zones rurales. De
plus, la recrudescence des fondamentalismes et la montée du conservatisme
religieux menacent les acquis en matière de droits des femmes. Le droit d’une
femme de prendre des décisions autonomes concernant son propre corps et ses
fonctions reproductives est au cœur de ses droits fondamentaux à l’égalité, à
la vie privée et à l’intégrité physique.
Au
niveau doctrinal, la distinction des méthodes est un enjeu majeur. Un leader
d'opinion de la région des savanes réfute en bloc l'utilisation de certains
contraceptifs, lors de son opinion sur la PF et de l’interruption médicale de
grossesse (IMG) : "les méthodes non abortives, nous ne pouvons pas les
conseiller. Mais les méthodes qui sont, supprimer l'embryon, je crois qu’il
faut réfléchir avant de s'y engager parce que ce sont des vies que nous ôtons
régulièrement et en tant que chrétiens nous ne pourrons pas encourager les
chrétiens dans ce sens-là. Ce que nous prêchons, c'est l’abstinence sexuelle. »
Dans cette incompréhension, un autre responsable islamique toujours dans la
savane a exprimé cette conviction profonde, illustrant le défi de l'alignement
: « Que ce soit la vasectomie, la ligature des trompes, l’utilisation
des pullules et tout autre ; planifier la famille voudrait aussi dire
éviter d’avoir d’enfants. Et l’islam interdit. Les avortements, toute IMG est
considérée comme un péché. Parce que le Coran déclare dans la sourate 6 verset
151 : ne tuez pas par crainte de pauvreté. »
Ces
réticences mettent en lumière des inégalités de compréhension du message de la
planification familiale entre les acteurs de la santé et certains leaders
spirituels. Pour ces derniers, les principes théologiques du soutien divin à la
vie priment parfois sur la nécessité économique et sanitaire.
Ces
propos montrent aussi la nécessité d'un dialogue interreligieux soutenu,
d'autant plus que l'expression « planification familiale » peut être perçue
comme une limite imposée à la volonté divine. Il faut encourager surtout
au niveau des jeunes à prendre le mot de mariage en management, ne serait-ce
qu'au niveau des familles avant qu'il y ait des relations intimes pour éviter
des grossesses indésirées et non responsables. Les leaders religieux sont au
cœur de cette lutte et ont besoin d'être formés et plus outillés pour aborder plus
aisément les questions liées à la planification familiale.
Le
Togo a réalisé des progrès notables dans l'accès à la PF, en partie grâce à
l'engagement de certains leaders religieux qui utilisent les concepts d’ «
espacement » et de « procréation responsable ». Ces pratiques sont
indispensables pour réduire la mortalité maternelle et infantile et sont un
pilier fondamental de l'autonomisation socio-économique des femmes. Pour
consolider ces acquis face aux menaces fondamentalistes, il est impératif
d'intégrer des programmes de coaching pour les leaders religieux afin de
garantir un message unifié et précis sur les méthodes contraceptives au Togo.
Seul un même niveau de compréhension entre santé et doctrine permettra de
répondre efficacement à la forte demande non satisfaite du pays.
Esther KOLANI