Alcool en sachets : attention aux maladies chroniques
- Posted on 16/03/2023 12:25
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Extrait de l'article: Il est désormais interdit au Togo de produire, d’importer ou de commercialiser des boissons alcooliques en sachet plastiques. C’est ce qui ressort d’un arrêté ministériel pris, le 24 octobre 2019. Cependant, ces boissons inondent encore le marché tog
Il est désormais interdit
au Togo de produire, d’importer ou de commercialiser des boissons alcooliques
en sachet plastiques. C’est ce qui ressort d’un arrêté ministériel pris, le 24
octobre 2019. Cependant, ces boissons inondent encore le marché togolais. Leurs
qualités sont douteuses, mais elles sont prisées par la jeunesse. Ces produits
sont introduits clandestinement dans le pays. Ils ne répondent pas aux normes
d'hygiène et constituent donc une menace réelle pour la santé des
consommateurs.
Whisky,
Gin, Café Rhum, ces boissons alcoolisées en sachet courent les rues. La
commercialisation est libre. Vendus à tous les coins et recoins des villages et
villes, les boissons alcoolisées en sachet ou whiskies en sachet font le beau
temps des adeptes de cette liqueur. Jeunes, élèves, étudiants, moto-taximen,
débrouillards constituent une cible de prédilection des entreprises
brassicoles.
A Sagbado, un canton situé dans la banlieue sud-ouest de Lomé, Maman Ayélé tient une cabane en claies. Plusieurs sachets, reliés les uns aux autres, et du sodabi attendent d’être consommés. Gango, manœuvre, teint noir à la maigreur saisissante, avale deux sachets chaque jour. Mange-t-il souvent ? Personne ne le sait. Son visage ravagé laisse place à un sourire aux dents corrodées par une mystérieuse substance, ses lèvres brûlées par l’alcool ne saisissent plus les nuances des goûts.
Moyennant
100 francs, on peut s’offrir un whisky en sachet. « L’alcool en sachet c’est la boisson des pauvres. Nous n’avons pas
tous les moyens de s’offrir des bouteilles d’alcool coûteux. Nous voulons juste
ressentir le goût de l’alcool. Nous aimons ça », argumente Martin Kodjovi,
40 ans, résidant le quartier d’Agoè-Anokui.
C’est
moins cher et facile à consommer. « Nous
n’avons pas besoin de diluer celui-ci pour le boire. Pas besoin d’un verre
aussi. Il se transporte facilement et on peut se le procurer partout où l’on se
trouve même dans les villages les plus profonds de la ville », confie
Gnandi, 30 ans, maître maçon. « Moi je préfère Café Rhum, si je veux
bien manger. Cette boisson aiguise mon appétit. Je ne trouve aucun inconvénient
à siroter ça », fait savoir ce consommateur.
Par
ailleurs, certains enseignants témoignent aussi que des élèves s’adonnent à la
consommation de ces boissons. Facilement dissimulables dans des poches
de pantalons ou des sacs d’écoliers, ils entrent facilement dans les salles de
classe. Dans certains établissements scolaires, on peut ainsi voir des jeunes
élèves sucer, entre deux cours, des sachets de 50 millilitres.
Un marché juteux ? Oui
Exportés exclusivement du Cameroun et du
Nigeria, ces whiskies sont à la bourse de tout le monde. Buvettes et boutiques,
cabarets constituent des endroits par excellence où ces sachets de whisky sont
vendus. En
pleine discussion un samedi, jour de marché, avec certains clients, Maman Lili,
une quadragénaire qui tient une un cabaret de Sodabi dans le quartier Adidogomé-Sagbado,
confie : « cela
fait 4 ans que j’ai décidé d’ouvrir ma propre buvette où je ne vends rien
d’autre que du sodabi et ces whiskies. Sans vouloir exagérer, je fais un
chiffre d’affaires de 7 000 à 15 000FCFA par semaine ». Cette commerçante
a fait de la vente de ces boissons alcoolisées en sachet son gagne-pain. On
peut trouver dans son cabaret un petit panier rempli de cigarette et de petit
cola. Un consommateur dans ce
cabaret estime que « quand on a déjà des problèmes, on ne pense plus
aux questions de santé. Si on interdit, on supprime ces boissons, cela faire
souffrir la plupart des gens défavorisés, sans emploi. Nous y trouvons un
certain réconfort et refuge. La bière coûte chère et ce n'est pas tout le monde
qui peut s'offrir une bonne bière ».
Effet
placebo ?
À en croire plusieurs jeunes, ces boissons alcoolisées en sachet les aident à faire face aux multiples soucis. Tossou Atchrimi, Enseignant-chercheur, Maître de conférences à l’Université de Lomé a mené en 2020, une étude sur « La consommation du Vin par les jeunes ouvriers de la ville de Lomé (Togo) : entre nouvelle identité et risques sanitaires ». D’après l’étude, 65% des enquêtés déclarent un usage régulier de l’alcool pour se sentir bien. Ils se rendent compte que boire un petit coup « fait du bien, que cela a un petit effet tranquillisant ».
«
Cela me fait du bien. Des fois, quand je prends ça, il me donne la force de
bien travailler dans la journée », a déclaré fièrement
Kokou, conducteur de taxi. « Quand je
bois ces whiskies, je me sens à l’aise et plein de force. Souvent, pour me
libérer de mes problèmes je ne cherche que ça », déclare Boris, un amateur
de whisky en sachet, rencontré dans le cabaret de Maman Lili. Bernard, électricien bâtiment à Agoè
Assiyéyé, quant à lui, considère le whisky comme un moyen de soulager et
d’évacuer les soucis et inquiétudes de la vie. « Pour oublier les soucis, je prends deux
sachets. Et cela marche. » a-t-il
évoqué.
Adjovi, 25 ans,
tenancière d’une boutiquière, à Sogbossito. « A chaque fois que je sens
les maux de ventre, Je prends café Rhum. Il me permet de
calmer des douleurs et je fais bien les selles. J’ai l’impression d’être
guérie », a-t-elle affirmé.
Ces affirmations considérées comme graves sont rejetées
par les professionnels de la santé. Les amateurs de ces boissons n’ont
pas réellement conscience des conséquences sur la santé. Car
ces
whiskies en sachets entrainent de l'effet placebo chez certaines personnes. Ils
constatent une diminution voire à
une disparition de symptômes suite à l'administration de substances sans action
pharmacologique. Cela s'explique par un mécanisme d’autosuggestion
capable de soulager les symptômes ressentis par un individu suite à la
production de dopamine et d'endorphines par le cerveau.
Composition douteuse
Ce sont des substances dont la composition est
difficile à déterminer. Elles ont une forte contenance en méthanol et toxines fortement
dommageable pour la santé et du système nerveux. Plus grave, des analyses en
laboratoire ont révélé que les fabricants utilisaient comme matière première,
le méthanol au lieu de l'éthanol, alcool autorisé dans la fabrication du
whisky.
Des
effets graves sur la santé
Derrière
ce désir de s’évader de ces soucis se cache des effets nocifs à la santé du
consommateur. Des évidences
scientifiques et techniques ont amené les professionnels de la santé à dire
qu'il s'agit d'un danger réduisant la capacité physique et pouvant conduire à
des attaques cardiaques ; des cirrhoses de foie ; des troubles nerveux et
souvent, la folie. Ces liqueurs exposent les consommateurs à des
maladies incurables.
Alerte sur les dangers
Dans
le corps médical, la consommation de ces boissons alcoolisées en sachet est
pointée du doigt comme source des cas de consultations et d’hospitalisations. « Nous
recevons des cas de consultation qui viennent pour des problèmes gastriques. On
remarque souvent que cela est dû à la consommation des whiskies en sachet. A
notre niveau, nous prescrivons un ensemble de médicaments pour résoudre le
problème. La consommation excessive de ces boissons en sachets peut évoluer
vers une cirrhose du foie », fait savoir un infirmier exerçant dans un
CMS à Lomé. La consommation de cette boisson, selon l’infirmier, peut
facilement tendre vers une dépendance. « L’une des conséquences de ces
whiskies, c’est la dépendance et là le sujet n’a plus aucun contrôle sur sa
vie » observe-t-il. Koffi,
menuisier, rencontré dans son atelier à Zanguéra, témoigne : « Cela
fait des années que je prends « Alomo Bitters » et j’ai souvent des
malaises. Mais je n’arrive pas à abandonner. C’est plus fort que moi ».
Professeur Mofou Belo, Chef division de
la surveillance des Maladies Non Transmissibles au Ministère en charge de la
santé, souligne que la prise de l’alcool
entraîne l'obésité, la sédentarité, le taux de cholestérol, la fragilité des
artères et conduit à l'hypertension.
Selon un médecin
généraliste, l’excès de consommation de whisky en sachet peut causer une
faiblesse sexuelle. « Ce que les consommateurs de whisky en sachet
ignorent ces boissons contiennent une très grande dose de sucre et de méthanol.
Toutes ces substances nuisent gravement la santé en entraînant certaines
pathologies telles que la pancréatite, les cancers, le syndrome d'alcoolisation
fœtale », a-t-il relevé.
Lambert Buffalo, Nutritionniste
affirme que ces boissons alcoolisées en sachets dégradent et détruisent le
métabolisme de l’organisme. « La consommation abusive de
l’alcool entraine des troubles cardiovasculaires. Elle élève la pression
artérielle, et augmente le risque d’hypertension artérielle », martèle-il.
Une consommation
régulière et excessive de ces boissons alcoolisées en sachet est
responsable de troubles cognitifs : altération de la mémoire, des capacités de
planification, d'attention et de prise de décisions. C’est ce que souligne Dr
Zinsou Selom Degboe, Psychologue clinicien/ spécialiste des addictions au CHU
Campus de Lomé « « La consommation de l'alcool demeure le
premier facteur d'un mauvais développement du cerveau chez les jeunes, car il
entraîne la rigidité du système nerveux central. Outre les troubles de
l’attention, de la concentration, de la mémoire, des capacités d’abstraction et
des fonctions exécutives, l’intoxication alcoolique chronique peut être à
l’origine d’un syndrome de Korsakoff, caractérisé par une altération massive et
irréversible de la mémoire, une tendance à la fabulation pour compenser les
pertes de mémoire, des troubles de l’humeur. Par ailleurs, l'intoxication
alcoolique expose à de nombreuses conséquences néfastes tels que le trouble
d'usage lié à l'alcool ou l’addiction, l'agressivité, les violences, le vol», explique le
psychothérapeute.
Le cœur souffre quand on consomme ces whiskies en sachet. Lors d’une conférence au centre Diabéobe à Avénou, Dr Efadzi Koffi Ehlan, Cardiologue, Responsale de la Clinique Médico Cardiologique « Cœur de Grace », à Totsi, explique que « les excès d’alcool provoquent des arythmies cardiaques, notamment de fibrillation atriale. Un type de contraction cardiaque suffisamment désordonné pour constituer un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral et d’insuffisance cardiaque. »
Pour Mathieu Tobossi, Spécialiste
en hygiène et qualité alimentaires, « consommer de
l’alcool est préjudiciable sur le plan nutritionnel. En effet, l’alcool fait
baisser le taux de salive de 10 à 15% par unité d’alcool. Or la salive
nous permet de digérer les aliments grâce à l’amylase salivaire. Ainsi,
prendre de l’alcool avant le début du repas risque donc de compliquer la
digestion. De plus, si avant le repas, nous avons déjà envoyé de l’alcool dans
l’organisme, 20 % de cet alcool ira au niveau de l’estomac et 80 % au niveau de
l’intestin. Cela peut causer du tort à la qualité des nutriments contenus dans
notre nourriture. Enfin, l’alcool n’est pas recommandé sur le plan
nutritionnel, car l’organisme lui-même produit le taux d’alcool dont il a
besoin ».
Cause des accidents de route
Dans le milieu des transports, le whisky est
sachet est pointé du doigt comme l’une des causes des accidents de la
circulation. C’est pourquoi le gouvernement togolais, dans ses efforts de
réduire le taux de mortalité sur les routes, a décidé d’appliquer une mesure
qui est le test d’alcoolémie. Une conduite sous l’emprise de l’alcool, voici les
risques : le champ visuel est rétréci, la perception du relief, de la
profondeur et des distances est modifiée, la sensibilité à l'éblouissement est
plus importante, la vigilance et la résistance à la fatigue diminuent, la
coordination des mouvements est perturbée, l'effet désinhibant de l'alcool
amène le conducteur à sous-évaluer les risques et à surestimer ses capacités. Le risque d’être responsable d’un accident de la
circulation mortel est multiplié par 8 en cas de consommation d’alcool. Ce
risque augmente très rapidement en fonction du taux d’alcool dans le sang : il
est multiplié par 6 pour un taux compris entre 0,5 et 0,8 g/l, et par 40 pour
un taux supérieur à 2 g/l. Selon les derniers chiffres de la sécurité
routière, l’alcool est en cause dans près d’ un tiers (1/3) des accidents
mortels.
Renforcer
les campagnes de sensibilisation
Les jeunes doivent prendre conscience quant à la dépendance de ces boissons alcoolisées en sachets. Les parents, tuteurs, enseignants et acteurs de l’éducation sont appelés à prendre leurs responsabilités pour sauver la jeunesse de la dérive. « Il faut davantage renforcer les campagnes de sensibilisation dans nos écoles. Faire des émissions sur les médias sur ce phénomène. L’objectif c’est que les jeunes arrêtent de consommer l’alcool en sachet. Il faudrait que cela cesse. Il faudrait qu’une règlementation soit mise en œuvre dans notre pays. Ce produit est une menace de santé publique », a martelé un acteur de l’éducation. C’est ce que renchérit aussi Dr Sélom Degboe, Spécialiste en addictions. « Interdire la commercialisation de ces boissons alcoolisées en sachet et faire de la sensibilisation primaire, secondaire en visant le grand public entre autres les lieux de formation, les églises, les couvents, les regroupements professionnels, via les médias», souligne -t-il.
Urgence de l’application stricte de l’arrêté
Si la décision ministérielle
du 24 Octobre 2019 est venue à point nommé refroidir l’ardeur d’une jeunesse de
plus en plus friande à la chose, elle remet néanmoins sur la table, la question
de l’effectivité de l’application stricte de cette disposition. A ce jour, le constat fait est que le
circuit de la consommation est toujours alimenté de ces produits ; exposant
ainsi la santé des togolais à des dangers et maladies chroniques. Aujourd’hui,
le Gouvernement togolais, doit rompre avec l’inaction, et mieux mettre en
éveil, ses cellules de contrôles et de suivi. Ceci, en vue de décourager par
des mesures dissuasives, les réseaux qui, sont prêts à mettre en péril la vie
des millions de consommateurs togolais. Cela garantirait, à l’arrivée, une
meilleure application de cette disposition salutaire.
Abel OZIH